La question des outils numériques est une constante au sein des initiatives collectives. Comment échanger sur les sujets du moment ? Comment savoir quand Sylvie et Jean-Michel seront disponibles pour cette réunion ? Comment rédiger ce rapport d’activité à plusieurs mains ? Ne cherchez pas de réponse absolue dans ce billet, vous ne la trouverez pas ;-)

Rien d’étonnant une fois que l’on sait que :

  1. Nous ne connaissons ni Sylvie ni Jean-Michel ;
  2. Il n’y a pas de réponse absolue à la question initiale quel serait le meilleur mode de fonctionnement pour nous ?

La réponse à cette question est nécessairement le fruit de discussions et expérimentations au sein de chaque structure, les individus et leurs interactions étant propres à chacune. Notre objectif avec ce billet est de vous donner les clés pour ouvrir le champ de ces discussions et expérimentations, et finalement faire vos choix en connaissance de cause.

Étude de vos besoins

Point de départ de tout choix : le besoin. Quel manque souhaitons-nous combler ? Amorcer cette discussion est essentielle avant de commencer à chercher des solutions…

Permettez-nous de reprendre ici la pyramide introduite dans le billet précédent, nous y ferons référence dans la suite de cet article.

   /_\    <- Spécialisation              Avec cet ASCII-art en lieu et
  /___\   <- Orchestration                  place d'une image, nous
 /_____\  <- Mutualisation               réduisons l'empreinte carbone
/_______\ <- Communication                 de cet article, aussi ;-)

Les fournisseurs de services

Une fois ce bel exercice d’étude de vos besoins entamé, il va falloir trouver comment les satisfaire. Comment mettre à disposition de chacun une adresse électronique, des calendriers, des documents, se les partager, etc. Là encore, rien d’immédiat, le marché varié de fournisseurs de ce type de services n’étant pas toujours simple à déchiffrer.

Offres propriétaires clés en main

Les solutions les plus complètes et les plus rapides à mettre en place sont celle de Google et dans une moindre mesure celle de Microsoft, respectivement Google Apps for Work et Office 365. Moyennant le paiement de quelques euros par mois par utilisateur, vous mettez à disposition de votre structure de nombreux outils qui couvrent les trois premiers étages de la pyramide présentée plus tôt.

Ces deux fournisseurs requièrent la possession d’un nom de domaine. Cela reste un investissement raisonnable avec de nombreux avantages, vous ne devriez pas hésiter. Nous ne vous parlerons d’ailleurs pas ici de l’option « comptes Gmail gratuits pour chaque collaborateur », qui n’atteint pas le troisième étage de la pyramide, et est donc un véritable casse-tête au quotidien1.

L’aspect rédhibitoire à nos yeux (et c’est un euphémisme) est la perte de maitrise de vos données. Vous envoyez tout cela à un tiers on ne sait où et vous ne savez pas exactement ce qui en sera fait. À titre d’exemple, vous aurez sans doute remarqué que Gmail affiche quelques publicités à côté de vos courriels, et plutôt pertinentes qui plus est ; simple quand on se permet de lire le contenu de la conversation

Outils libres à héberger

À l’opposé du spectre des libertés se trouvent les logiciels libres. Ici, la transparence est de mise : tout le code source est consultable, utilisable et modifiable à loisir. Aucune surprise pour qui sait le lire ou se fait assister pour. Le moindre écart éthique pourra être décelé et discuté ; il l’est d’ailleurs bien avant que le logiciel arrive tout bien empaqueté sur votre système, grâce à la veille des communautés d’utilisateurs.

Comme aucune solution n’est idéale, il existe bien quelques inconvénients. L’un d’entre eux participe tout particulièrement à la faible adoption de ces solutions : les offres clés en main restent très confidentielles. La dynamique entourant ces logiciels promeut l’auto-hébergement, avec les compétences techniques que cela implique, afin de garantir la fameuse maitrise des données évoquée plus tôt. Il convient donc de s’entourer de personnes de confiance ayant ces compétences, et ce n’est pas toujours aisé et/ou accessible, en fonction de la nature de votre structure.

Ainsi, vous pourrez trouver quelques offres commerciales mettant à disposition des outils libres en quelques clics, mais peu garantissent la localisation des données en France. Nous ne manquerons pas de citer par ailleurs l’initiative de Framasoft qui, souhaitant dégoogliser Internet, héberge gratuitement une liste de plus en plus longue de services disponibles en quelques secondes. Ainsi, vous pourrez satisfaire nombre de besoins des deux premiers étages à moindre frais2. Malheureusement, le troisième étage ne fait pas partie des plans de l’association.

Les interfaces d’interaction

Si nous faisons le point avant d’attaquer le dernier composant de cette problématique, nous avons :

  • d’un côté vos besoins (communication électronique, calendriers partagés…)
  • de l’autre des fournisseurs de services qui mettent à disposition l’infrastructure nécessaire pour les satisfaire (serveurs de courriels, de calendriers, de fichiers…).

Le lien entre les deux se fait par l’intermédiaire des interfaces mises à disposition ou non par le fournisseur de services. Et sur ce point encore, différentes stratégies vous sont proposées…

Le tout-en-un de Google

Google est le champion de l’expérience utilisateur homogène et riche. En plus des infrastructures de services, leurs équipes ont développé des interfaces propriétaires avec un accent tout particulier mis sur leur cohérence. Que vous soyez dans l’interface de communication par courriel Inbox, dans l’outil de cartographie Maps ou dans le gestionnaire de fichiers Drive, l’agencement des contenus, les codes couleurs, les iconographies et les autres éléments d’UX seront identiques.

UX est l’abbréviation de l’anglais « User eXperience », expérience utilisateur. Cette notion regroupe les caractéristiques d’un produit qui ont une influence sur le ressenti d’une personne quant à l’utilisation dudit produit. Il s’agit évidemment des éléments visuels (positions, formes, couleurs) mais également des comportements en réaction aux actions de l’utilisateur. Cette notion s’applique à toute sorte de produits, qu’ils soient matériels ou non. On peut ainsi parler de l’UX de Firefox, le navigateur, comme de l’UX de Starbucks, la chaine de cafés.

Google pousse le curseur très loin dans cette démarche. Par exemple :

  • ces interfaces spécifiques ont pour beaucoup été développées initialement pour un accès via votre navigateur et ont désormais leur variante iOS et Android. Et ce tout en respectant les lignes directrices maison. Vous avez donc une expérience homogène quel que soit le périphérique par lequel vous accédez à vos informations ;
  • si vous mettez le lien d’un document présent dans votre Drive dans un courriel, l’interface de communication par courriel Gmail vérifiera en arrière-plan que les destinataires du courriel ont bien le droit d’accéder au document. Si tel n’est pas le cas, vous en serez averti et Gmail vous offrira la possibilité de corriger cela directement.

Nous nous rendons bien compte qu’en vous détaillant tout cela, nous pouvons susciter de l’intérêt pour leur plateforme, alors que nous faisons tout pour en sortir. D’un autre côté, si vous êtes ici, c’est que les problématiques autour du logiciel libre vous interpellent, voire vous intéressent. Disons alors qu’il s’agit de dépeindre de façon un tant soit peu objective le spectre des possibilités offertes, tout en ne manquant pas d’y glisser notre avis. Et puis, qui sait, cela peut être aussi une source d’inspiration pour un futur projet ;-)

Patchwork d’outils reposant sur des standards

Pour répondre aux mêmes besoins qu’avec la nébuleuse Google, il est nécessaire dans le monde libre de combiner différents outils. Les choses se compliquent alors pour les utilisateurs. Chacun de ces outils a sa propre interface, avec son identité visuelle, et devoir naviguer de l’une à l’autre peut être déroutant. Il est important de bien identifier les responsabilités de chaque outil pour que cela soit clair dans l’esprit de tous. D’autant plus que les périmètres de certains d’entre eux peuvent se recouper, par exemple :

  • vous utilisez SOGo pour la gestion de vos calendriers et contacts pour la qualité de son interface ;
  • vous utilisez ownCloud pour le stockage partagé de fichiers, sachant que cet outil permet aussi de gérer calendriers et contacts, mais moins adapté à votre façon de fonctionner ;
  • il faudra donc prendre soin de désactiver ces deux derniers modules afin d’éviter que des calendriers ou contacts ne se retrouvent dans des outils différents…

Heureusement, des standards ont vu le jour, permettant aux outils de discuter entre eux, et avec les utilisateurs. En combinant judicieusement ces standards, il est possible de simplifier la vie des utilisateurs.

Sans vous inonder de jargon technico-technique, il est important de savoir que l’interopérabilité des systèmes est un enjeu majeur de toute technologie, laissant l’utilisateur libre de choisir ses outils. Ainsi, pour les courriels, le protocole standard le plus répandu désormais porte le doux nom d’IMAP, successeur du non moins connu POP33. Et ce sera CalDAV pour les calendriers, CardDAV pour les contacts, XMPP pour la messagerie instantanée, entre autres. Grâce à la définition de ces standards, de nombreuses interfaces ont vu le jour, reposant chacune sur une philosophie, une technologie ou un modèle économique propre, mais toutes capables de vous aider à gérer vos courriels et/ou calendriers et/ou contacts, etc. À vous de choisir celui qui vous convient le mieux.

Petite mise en situation, pour ne pas perdre les bonnes habitudes. Thunderbird est une application libre permettant la gestion des courriels, contacts et calendriers. Grâce à ses différents connecteurs standards, il est tout à fait possible d’y configurer un serveur de courriels hébergé par Gandi, un serveur de contacts ownCloud et un serveur de calendriers SOGo. Ainsi, à travers une seule interface, vous utiliserez de façon tout à fait transparente trois fournisseurs de services ; et ce sans jamais voir les trois interfaces, largement différentes, de chaque service.

Nos envies de catalyse

Si vous avez eu le courage de lire jusque là, vous arriverez peut-être à la même conclusion que nous : les outils libres existent pour satisfaire les besoins de collaboration, mais l’expérience utilisateur globale n’atteint pas la fluidité des offres propriétaires proposées par les géants du Web. Entre les compétences nécessaires à leur mise en place et les efforts d’intégration à demander aux utilisateurs, il est aisé de comprendre pourquoi la plupart des structures ne choisiront pas la voie libre.

Maintenant que les difficultés sont exposées, l’essentiel n’est pas de rester sur ce simple constat, mais d’agir pour influer sur la tendance.

Catalyseur d’interactions libres

En chimie, un catalyseur est une molécule qui favorise la réaction entre d’autres molécules. Elle n’en modifie pas le résultat, elle accélère simplement le processus. Voilà le rôle que nous aimerions jouer.

Un travail incroyable a été réalisé depuis des décennies, pour proposer des outils libres gérant des courriels, des calendriers, des contacts… Ce travail de qualité, testé et approuvé par une poignée (à l’échelle de l’humanité) de privilégiés4, devrait pouvoir profiter à tous. L’idée n’est pas de réinventer le métier à tisser, mais bien de construire un patchwork de solutions existantes, avec juste les bonnes coutures pour présenter une étoffe cohérente.

Nous rêvons d’un formulaire où renseigner une adresse électronique et un nom de domaine, qui, après validations, rend disponibles tous ces outils comme s’ils n’en faisaient qu’un… Connectez-vous une seule fois, et vous voilà connecté à tous. Ajoutez un collaborateur à votre structure, et voilà qu’il apparait dans le carnet d’adresses de tous les autres, sur tous leurs périphériques. Envoyez un message instantané à votre coéquipier, et lui le reçoit par courriel car il n’est pas connecté pour le moment… Et tout ça derrière un simple formulaire avec deux champs texte ;-)

Mais n’oublions pas : la cohérence de l’expérience utilisateur est un enjeu majeur. Notre ambition n’est pas de juxtaposer pléthore de services, mais de faire comme si ceux proposés n’étaient qu’un, du point de vue de la personne derrière l’écran. Cela est pour nous une des clés de la réussite d’une telle épopée. Tout le monde n’a pas la patience d’assimiler que pour les courriels, c’est le RoundCube de Gandi, pour les calendriers et les courriels, c’est un SOGo maison, et la discussion instantanée, c’est le Mattermost de Framasoft…

Prenez part à la construction

Le terme « épopée » n’a pas été choisi au hasard dans le paragraphe précédent. Bien que sacrément dense, cet article est de loin la partie la plus simple. Nous n’avons aucune idée du temps que peut prendre la mise à disposition d’une première version qui se contenterait de courriels, calendriers et contacts. Et pourquoi pas courriels et discussions instantanées, plutôt, pour commencer ? Vous voyez, nous avons besoin de coups de main ;-)

Si le sujet vous intéresse et que vous avez envie de partager, n’hésitez pas à nous glisser un petit mot. Comme on le dit dans le README de chacun de nos projets, le code n’est pas la seule contribution qui ait de la valeur : les retours du terrain, des personnes qui ont besoin de ces outils, sont primordiaux pour s’assurer d’offrir les bonnes fonctionnalités au bon moment.

Sur ce, nous avons quelques hébergeurs français à comparer, quelques solutions techniques à éprouver et quelques hypothèses à vérifier pour transformer cette intuition en conviction. Nous vous laissons avec nos réflexions embryonnaires, en espérant que nous pourrons en discuter ensemble si cela fait écho chez vous.

Au plaisir !

  1. Vraiment, les adresses Orange ou Gmail, ça fait moins sérieux… Et entre 10 et 50 € l’année, ce serait dommage de s’en priver. 

  2. Un petit don doit toujours leur faire plaisir, ceci dit. 

  3. Si vous utilisez encore du POP3 alors que votre fournisseur de service vous propose de l’IMAP, reconfigurez votre client pour utiliser ce dernier. 

  4. Oui, nous considérons que des gens qui ont le choix et peuvent garantir leurs libertés sont des privilégiés.